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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Ces derniers mois, la presse a fait état de nombreux cas de pollution aux substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS). Si la Haute‑Savoie, le Rhône, le Gard, le Jura et l’Oise sont apparus particulièrement exposés, aucun territoire n’échappe formellement à la contamination par ces polluants éternels. Les PFAS sont des molécules issues de l’industrie chimique, utilisées depuis les années 1940 et progressivement intégrées à de multiples usages, entrant dans la composition d’une grande diversité de produits industriels et de consommation courante. Ces substances, contenant toutes des liaisons carbone‑fluor très stables, ont progressivement été intégrées à notre quotidien en raison de leurs propriétés chimiques spectaculaires. Elles représentent aujourd’hui une pollution majeure et persistante, à l’origine d’une déstabilisation probablement irréversible de l’environnement et de risques graves pour la santé.
Les PFAS représentent entre 4 000 et 12 000 substances. Ils sont un vaste groupe de composés, développés pour accroître la résistance des produits aux processus de dégradation. Emballages alimentaires, poêles anti‑adhésives, textiles, cosmétiques mais aussi mousses anti‑incendie, batteries, peintures, pesticides : tous ces produits peuvent contenir des PFAS, utilisés notamment pour leur imperméabilité, leur résistance à la chaleur ou à la lumière, leurs propriétés antiadhésives ou anti‑tâches.
Les PFAS sont extrêmement persistants dans l’environnement. Leurs liaisons carbone‑fluor comptent parmi les liaisons chimiques les plus stables, ce qui les rend fortement résistantes aux dégradations biologiques naturelles et explique leur accumulation dans l’environnement et dans les organismes vivants, au point que les PFAS sont aujourd’hui également connus sous le nom de « polluants éternels ». Les PFAS sont retrouvés dans tous les milieux et plusieurs études ont montré leur présence dans le sang de pratiquement toute la population. En France, le programme national de biosurveillance Esteban a ainsi révélé la présence de certains PFAS dans 100 % du sang des adultes et des enfants testés ([1]).
Les PFAS présentent des risques graves pour la santé humaine. La littérature scientifique sur les effets de l’exposition aux PFAS sur la santé humaine est abondante et dynamique. Plusieurs PFAS ont fait l’objet d’un nombre particulièrement important d’études ((acide perfluorooctanoïque (APFO ou PFOA en anglais), sulfonate de perfluorooctane (PFOS), Perfluorononanoic Acid (PFNA), PHxS) et les travaux abordent progressivement d’autres substances. Dans une synthèse sur le sujet ([2]), l’Agence européenne pour l’environnement expose de nombreux risques sanitaires préoccupants pour lesquels le niveau de certitude est élevé : maladies thyroïdiennes, taux élevés de cholestérol, lésions au foie, cancers du rein, cancers des testicules, retards de développement de la glande mammaire, réponses réduites aux vaccins, faibles poids à la naissance. L’Agence évoque, avec un niveau plus faible de certitude, d’autres risques pour la santé : cancers du sein, maladies inflammatoires de l’intestin, délais de grossesse plus longs, hypertension, obésité, pubertés précoces, risques accrus de fausses‑couches, nombre et mobilité plus faible des spermatozoïdes. S’agissant des deux molécules les plus étudiées, le PFOA et le PFOS, le Centre international de recherche sur le cancer les a classées « cancérogène pour les humains » et « cancérogène possible ». Dans un rapport de référence sur les PFAS, le Conseil nordique des ministres montre finalement que le coût annuel lié aux effets de ces substances sur la santé atteint 52 à 84 milliards d’euros en Europe ([3]).
Dans ce contexte, une action publique qui consisterait à prendre des mesures substance par substance présente des limites évidentes. Les restrictions ciblées, comme celles du PFOS et du PFOA, sont justifiées au regard des risques mais ne suffiront pas à assurer une réponse à la hauteur des enjeux. Non seulement l’action molécule par molécule n’est pas réaliste au regard du nombre de substances, mais ces restrictions ciblées font aussi courir le risque de substitutions regrettables d’un PFAS par un autre, dont la composition modifiée n’est pas de nature à écarter les risques pour la santé et l’environnement. Le Gen‑X, ayant servi à la substitution du PFOA lors de son interdiction, est par exemple à son tour considéré comme une substance très préoccupante par l’Agence européenne des produits chimiques (Echa). Au regard des milliers de composés que représentent les PFAS, l’action publique ne sera efficace que dans la mesure où elle sera envisagée de manière systémique.
En Europe, des initiatives vont dans le sens d’une restriction large des PFAS. Ainsi, le projet d’interdiction européenne des PFAS publié par l’Echa en 2023 et préparé par l’Allemagne, les Pays‑Bas, la Norvège, la Suède et le Danemark depuis 2021, dans la mesure où il cible le groupe de composés dans sa globalité, apparaît comme une perspective plus satisfaisante pour agir sur les risques liés aux PFAS. La France n’est pas à l’origine de ce projet de restriction mais y apporte depuis peu son soutien. Néanmoins, cette initiative est conditionnée à un long processus décisionnel européen et pourrait aboutir, dans le scénario le plus favorable, à horizon 2027‑2028. Alors que l’accumulation irréversible de substances dans l’environnement est une des principales caractéristiques de la pollution PFAS, chaque mois d’inaction compte. Des mesures facilement déployables existent et peuvent permettre de freiner la pollution. Devançant la probable réglementation européenne, le Danemark a par exemple introduit sur son territoire une interdiction des produits en papier ou carton destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires et contenant des PFAS dès juillet 2020. En cohérence avec le plan d’action ministériel sur les PFAS de janvier 2023 et le rapport rendu par le député Cyrille Isaac‑Sibille en janvier 2024, la France doit pouvoir à son tour engager sans tarder des mesures de nature à renforcer la lutte contre ces polluants.
Considérant ce qui précède, la présente proposition de loi vise à protéger la population des risques liés aux PFAS en permettant le déploiement d’une série de mesures prioritaires, à la hauteur des enjeux en matière de santé publique et de préservation de l’environnement.
L’article 1er prévoit de réduire l’exposition de la population aux PFAS. D’une part, l’article propose une réduction des risques à la source, en interdisant la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché des produits contenant des PFAS, tenant compte de la disponibilité d’alternatives aux PFAS pour les produits considérés. Quatre usages sont ciblés pour une interdiction dès juillet 2025. Ces usages - produits destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires, cosmétiques, fart et textiles - sont identifiés par l’Agence européenne des produits chimiques comme des produits pour lesquels des alternatives sont connues et disponibles. Pour les autres usages, l’interdiction est prévue pour entrer en vigueur en juillet 2027, date à laquelle le projet d’interdiction européenne soutenu par la France devrait également aboutir. Des dérogations strictement proportionnées au caractère essentiel des usages pourront être prises. Cette disposition permettra d’assurer l’application d’une interdiction large sur le territoire national, indépendamment des incertitudes du processus décisionnel européen. D’autre part, le même article premier prévoit d’agir sur l’exposition par l’eau potable en proposant d’intégrer les PFAS dans le contrôle des eaux destinées à la consommation humaine. L’eau potable, source majeure d’exposition aux PFAS, ne fait aujourd’hui pas l’objet d’un contrôle en matière de PFAS. Au regard de l’enjeu de santé publique, ce contrôle s’impose. Considérant les résultats des contrôles, le Gouvernement proposera au Parlement des normes sanitaires actualisées pour tous les PFAS.
L’article 2 prévoit d’appliquer le principe pollueur‑payeur à l’effort de dépollution. La disposition proposée ajoute les PFAS à la liste des substances assujetties à la redevance pour pollution de l’eau. Cette mesure instaure une contribution directe des émetteurs de PFAS dans l’environnement, fléchée vers les agences de l’eau. Les collectivités, qui devront faire face à l’enjeu massif de la dépollution de l’eau contaminée par les PFAS, pourront ainsi s’appuyer sur les ressources des agences de l’eau.
L’article 3 gage financièrement la présente loi. Il est ainsi proposé la création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices générés par les industries rejetant des PFAS dans l’environnement ainsi qu’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs.
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Article 1er
I. – Le chapitre III du titre II du livre V du code l’environnement est ainsi modifié :
1° À la fin de l’intitulé du chapitre III, les mots : « aux substances à l’état nanoparticulaire » sont remplacés par les mots : « à certaines substances » ;
2° Au début, est ajoutée une section 1 intitulée : « Prévention des risques résultant de l’exposition aux substances à l’état nanoparticulaire » comprenant les articles L. 523‑1 à L. 523‑6 ;
3° Après l’article L. 523‑6, est insérée une section 2 ainsi rédigée :
« Section 2
« Prévention des risques résultant de l’exposition
aux substances per- et polyfluoroalkylées
« Art. L. 523‑6‑1. – I. – Sont interdites à compter du 1er juillet 2025 la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de :
« 1° Tout produit destiné à entrer en contact avec les denrées alimentaires contenant des substances per- et polyfluoroalkylées ;
« 2° Tout produit cosmétique contenant des substances per- et polyfluoroalkylées ;
« 3° Tout produit de fart contenant des substances per- et polyfluoroalkylées ;
« 4° Tout produit textile contenant des substances per- et polyfluoroalkylées, à l’exception des vêtements de protection pour les professionnels de la sécurité et de la sécurité civile.
« II. – Sont interdites à compter du 1er juillet 2027 la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de tout produit contenant des substances per- et polyfluoroalkylées. Une liste de dérogations à la présente interdiction, strictement proportionnée au caractère essentiel des usages, est définie par décret en Conseil d’État. » ;
4° Après la section 2 telle qu’elle résulte du présent article, est insérée une section 3 intitulée : « Dispositions communes » comprenant les articles L. 523‑7 à L. 523‑8.
II. – Le chapitre Ier du titre II du livre III de la première partie du code de la santé publique est complété par un article L. 1321‑5‑11 ainsi rédigé :
« Art. L. 1321‑5‑11. – Le contrôle sanitaire de la qualité des eaux potables inclut le contrôle de la présence des substances per- et polyfluoroalkylées dans les eaux destinées à la consommation humaine. Un décret cosigné par le ministre chargé de la santé pris après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail détermine les conditions d’échantillonnage. »
III. – Dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement présente au Parlement un rapport proposant des normes sanitaires actualisées pour les substances per- et polyfluoroalkylées dans les eaux destinées à la consommation humaine.
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Article 2
L’article L. 213‑10‑2 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Au I, après les mots : « au IV », sont insérés les mots : « et V »
2° Au II, après les mots : « au IV », sont insérés les mots : « et V »
3° Après le IV, il est inséré un V ainsi rédigé :
« V. – La redevance due par une personne dont les activités entraînent des rejets de substances per- et polyfluoroalkylées est assise sur le nombre de kilogrammes de substances per- et polyfluoroalkylées rejetés par an dans le milieu naturel directement ou par un réseau de collecte. Le seuil de perception de la redevance est fixé à un kilogramme. Le taux de la redevance est fixé à 1 000 euros par kilogramme. »
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Article 3
La charge pour l’État est compensée à due concurrence par :
1° La création d’une taxe additionnelle d’un pour cent sur les bénéfices générés par les industries rejetant des substances per- et polyfluoroalkylées dans l’environnement parmi les sociétés redevables de l’impôt sur les sociétés qui réalisent un chiffre d’affaires annuel supérieur à 50 000 000 euros ;
2° La création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.